Vous etes ici: Accueil > Ressources >La construction de réseaux alternatifs

La construction de réseaux alternatifs

Publié le mardi 27 septembre 2011

Par Gotson Pierre, Groupe Médialternatif,

Intervention au séminaire : L’information au service du progrès social Sainte-Anne, Martinique, décembre 2003

Extraits

Comment mettre en œuvre des réseaux alternatifs ? Les réponses à cette question ou des élaborations sur ce thème peuvent être multiples, se référant le plus souvent à des expériences conduites durant un certain temps avec des résultats déterminés.

Aujourd’hui, a partir d’une expérience en communication qui a abouti, il y a 2 ans, à la mise en place d’un système d’information qui se veut alternatif (AlterPresse), nous allons essayer de cerner quelques aspects essentiels du processus de construction de réseaux alternatifs en insistant sur des démarches et références stratégiques.

L’exemple d’AlterPresse www.alterpresse.org est intéressant à plusieurs points de vue, en particulier du fait que c’est un effort issu d’un pays démuni ou, au prime à bord, il paraît impossible de conduire des actions sur le terrain des nouvelles technologies. Peu d’infrastructures de télécommunication et faible accès individuel aux NTIC à cause de la faiblesse du pouvoir d’achat, caractérisent l’espace haïtien.

Nous sommes tombés pourtant sur le réseau comme sur une manne, grâce à la possibilité offerte par Internet de mettre en place un média à portée globale et à faible coût. Internet est aujourd’hui au centre de nos activités, avec un début de mobilisation d’acteurs clés dans le pays et la mise à profit de la diffusion en ligne pour toucher une audience importante à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, susceptible d’influencer la réalité haïtienne.

Internet espace de lutte

Internet, réseau des réseaux, est devenu petit à petit un espace stratégique ou se disputent des intérêts énormes. Reflet de la société, le village cybernétique représente une mosaïque d’acteurs qui cherchent à assurer, renforcer ou étendre leur espace.

Même si les premières expériences d’Internet, dans les années 60, impliquaient des centres universitaires et servaient à l’échange d’informations scientifiques ou académiques, il est évident que dès la vulgarisation d’Internet à partir des années 1990 des forces économiques ont cherché à monopoliser le réseau.

Il convient de préciser que la puissance incontournable d’Internet se base sur ses principales caractéristiques : un rayonnement global, la fusion de tous les supports de communication et l’interactivité.

Les potentialités de l’Internet le placent au centre de la mouvance globalisante et de ce qu’on nomme aujourd’hui la société de l’information.

Les grands acteurs de l’économie mondiale cherchent ainsi de plus en plus a faire mains basses sur Internet en vue d’étendre chaque jour un peu plus le marché. Le gratuit, qui a caractérisé ce réseau global tend à se rétrécir au profit des services payants. Les entreprises trouvent donc de nouvelles formes de s’organiser et de produire, dans le cadre de l’expansion du système néo-libéral.

L’Internet et les Nouvelles Technologies de la Communication et de l’Information ont aussi permis l’apparition d’un secteur économique spécifique, tenant compte de la place sans précédent qu’occupent de plus en plus l’information, les médias, la communication en générale dans les transactions économiques (plus de 50% des activités économiques mondiales).

De même, on observe une recherche d’appropriation de l’Internet par les secteurs sociaux. Organisations et citoyens utilisent ce nouvel outil pour entrer en relation, articuler des stratégies et conduire des actions communes. Aucune cause n’est laissée de coté, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, la défense des droits humains, liés aux diverses couches sociales et divers secteurs de la société.

Qu’on le veuille ou non, c’est dans ce contexte que s’inscrit aujourd’hui toute action d’information et de communication, qui exige la maîtrise de nouveaux outils et la mise en place de stratégie de développement de réseaux.

Réseaux humains, réseaux virtuels

Nous sommes désormais à l’ère du virtuel, mais le virtuel n’existe pas sans l’effort humain. Ainsi, tout réseau virtuel efficace suppose l’existence de réseau humain.

On a tendance à penser que l’Internet est simplement un réseau de réseaux d’ordinateurs interconnectés. C’est vrai, mais derrière les machines il y a les hommes et les femmes. Ce sont les cerveaux humains qui mettent en place les cerveaux électroniques et qui les gèrent. Ce sont les humains qui introduisent les contenus que se partagent les machines que nous consultons. En d’autres termes, on doit bien se mettre en tête qu’au début et à la fin du processus de communication électronique il y a bien les êtres humains.

Ceci est une donnée essentielle à prendre en compte dans tout projet de communication alternative, à plus forte raison de projet de communication basé sur les NTIC. Il faut absolument cultiver l’esprit de réseau.

La logique de réseau a toujours guidé notre action en communication, bien avant notre initiation aux NTIC. En 1989, lorsque nous lancions une expérience de magazine audio, comme lieu d’échanges au sein des secteurs démocratiques et populaires en Haïti, nous avions d’abord établi un réseau d’acteurs sociaux, qui pouvaient recevoir des cassettes enregistrées, les écouter, les faire écouter dans des communes des 8 départements du pays et rétro alimenter le magazine en y acheminant informations, commentaires et analyses des secteurs concernés.

Ce magazine bi-mensuel sur k7 audio de 30 minutes, qui a vécu 6 ans, s’était transformé, durant la période du coup d’état militaire de septembre 1991, en un des principaux moyens d’information en Haïti. Malgré la répression sauvage qui sévissait durant cette époque, la cassette a continué a circuler et a être rétro alimentée, sa circulation et sa rétro alimentation reposant sur l’action de chaque acteur impliqué.

Plus tard, ce sont la plupart de ces acteurs, regroupés en plate-forme régionale, qui étaient le pilier du lancement d’un réseau de radios communautaires.

Nous parlons de réseau de radios communautaires, en fait, les radios n’étaient pas électroniquement connectées, si non qu’il existait entre elles un flux de contacts et d’échanges. Nous avons alors fait valoir l’idée que ces contacts et échanges constants, par des réunions pour déterminer la stratégie de diffusion, partager des axes de programmation et l’échange de programmes, constituaient les bases mêmes d’un éventuel réseau connecté.

L’habitude de la création de contenu, de la proposition, de la réception et de la gestion de contenu proposé, fait partie, en effet, de la construction d’une culture de réseau. C’est cette culture de réseau qui détermine la participation efficace des acteurs dans le fonctionnement des réseaux, notamment en ce qui concerne les réseaux électroniques aux moyens des NTIC.

Il est absolument important de retenir que la structure décentralisée de l’Internet permet des interactions sociales au delà des frontières et en temps réel, ouvrant la possibilité de dynamiser des initiatives les plus variées, proposant divers types de contenus.

En ce qui nous concerne, il s’agissait, pour nous journalistes, de mettre en place un réseau alternatif haïtien d’information (AlterPresse), s’inscrivant dans la dynamique du Droit à l’Information et à la Communication. Ceci sous-entend la mise à disponibilité de l’information sur les processus politiques, économiques, sociaux et culturels impliquant les acteurs des mouvements sociaux, des mouvements d’entreprenariat collectif, des organismes de promotion et de défense des droits humains, des organismes d’appui au développement, des institutions de recherches et d’éducation non formelle, de l’université, etc.

Parmi les thématiques privilégiées, celles qui touchent aux intérêts démocratiques et populaires : équité de genre, leadership féminin, participation locale, économie solidaire, technologie appropriée, agriculture durable, sécurité alimentaire, protection de l’environnement, santé génésique, médecine traditionnelle, jeunesse responsable, droits de l’enfant, mouvements humains, communication alternative et populaire, etc.

Dans le fond, en plus d’un simple média, nous sommes entrés dans la construction d’embryons supplémentaires d’une résistance citoyenne. Nous en sommes donc venus à nous positionner sur le terrain de la lutte pour la démocratisation de la communication, où se joue le futur de la démocratie elle-même, sur le plan global, avec des impacts considérables sur le local.

Repères stratégiques

La conception même du réseau alternatif haïtien d’information revêt un aspect stratégique. Il n’était pas uniquement question de produire et diffuser les nouvelles d’Haïti, mais bien d’établir une large plate-forme d’information touchant aussi bien à Haïti, la République Dominicaine voisine, la Caraïbe en général et des problématiques régionales et mondiales. Il s’agissait en même temps d’alimenter un espace d’expression, mettant en valeur les prises de position des secteurs sociaux et des réflexions des milieux académiques. La promotion du Créole a aussi été un axe principal de la politique de contenu.

Évidemment, toute cette démarche est visible dans l’organisation du contenu a travers des rubriques telles que : Dans la presse dominicaine, La Caraibe en un coup d’œil, Panorama international, Dossiers et documents, Bwapiwo (nouvelles en Créole) et Ti chèz ba (dossiers et documents en Créole).

Dans la mise en place du réseau, il a été également stratégique de rechercher à mettre en œuvre des partenariats en vue de créer un espace de relations et de soutien pour une meilleure répercussion de l’information produite ou reproduite et la pérennité de l’expérience.

Médias haïtiens et étrangers montrant une certaine sensibilité vis-à-vis des perspectives alternatives, institutions de solidarité et d’appui au développement en Haïti, dans la Caraïbe et l’Amérique latine, en Amérique du Nord et en Europe, associations de divers secteurs ont été mobilisés.

Pour prendre des exemples, nous avons pu établir les bureaux de l’agence dans le cadre d’un partenariat avec l’institution Haïti Solidarité Internationale, à Port-au-Prince, héberger notre site Internet dans un espace fourni, sur une base d’échange de services, par la firme Comunica, en Hollande (www.comunica.org).

En ce qui concerne les ressources humaines, un partenariat avec la faculté des Sciences Humaines de l’université d’Etat a permis au réseau de compter avec la contribution de jeunes étudiants finissant en communication trouvant dans ce cadre, un lieu de stage et d’encadrement par des professionnels expérimentés.

D’autre part, bénéficiant de notre influence auprès de quelques médias, nous avons du miser, dans un premier temps, sur l’impact de quelques stations de radios, télévision et une partie de la presse écrite, qui ont reproduit nos premiers bulletins. Par un effet d’entraînement et a cause du dynamisme du réseau et son aptitude a sortir des informations inédites et transcendantes, au fur et a mesure, un nombre plus important de médias a pris le relais.

Ceci permet de souligner que le monde des médias est un monde fermé, qui a sa propre logique et où les relations individuelles peuvent jouer un rôle important. Le fait d’avoir nos entrées comme professionnels dans la sphère médiatique a sûrement servi aux premiers pas de l’agence.

Cependant, nous ne pouvions compter uniquement sur cet acquis. Nous avons travaillé à faire valoir les services du réseau auprès d’acteurs des mouvements sociaux. Nous n’avons pas ménagé les contacts et rencontres avec les entités associatives pour présenter les activités de ce réseau alternatif haïtien d’information comme un support important à diverses initiatives de plaidoiries déjà en cours sur le terrain autour de divers thèmes d’intérêt démocratique et populaire. D’où notre ligne directrice, « mettre les mouvements sociaux au cœur de l’actualité ».

L’agence a aussi interpellé les communautés haïtiennes de l’étranger, soit environ 2 millions d’habitants, représentant le cinquième de la population haïtienne, ayant plus facilement accès aux ressources d’Internet, tandis que les médias (principalement radios et magazines) desservant le public haïtien à l’extérieur, s’alimentent dans une proportion non négligeable à partir de sources Internet.

Enfin, la dernière démarche stratégique, et pas la moindre, a été de mettre à profit les multiples réseaux déjà existant sur Internet. C’est particulièrement à travers ces réseaux qu’une bonne partie de l’audience a été touchée de manière autonome.

…..

decembre 2003

Haut de page Retour ressources